Mon intérêt tout particulier pour l’art textile contemporain me guide vers ces femmes artistes qui ont marqué toute une génération d’artistes et continuent encore à marquer les esprits de nos jours, de par leur singularité, ‘their uniqueness’…

Louise Bourgeois en fait partie.

Née le 25 décembre 1911 à Paris, a vécu à New York de 1938, jusqu’à sa mort en 2010.  Louise Bourgeois passe son enfance à Choisy-le-Roi et Antony, où ses parents, Louis et Joséphine tiennent un atelier de restauration de tapisseries anciennes. Elève brillante, se forme aux Beaux-Arts de Paris en 1933 et fréquente l’Académie Ranson ainsi que l’école du Louvre avec des professeurs comme Fernand Léger ou Paul Colin, elle côtoie de nombreux artistes.

Pendant le confinement, j’ai eu envie de relire le livre intitulé ‘Louise Bourgeois’ de Marie-Laure Bernadac, paru aux Editions Flammarion. Marie-Laure Bernadac a été conservateur au musée Picasso, au Centre Pompidou, au musée d’Art contemporain de Bordeaux et en charge de l’art contemporain au musée du Louvre. L’une des éminentes spécialistes de Louise Bourgeois, elle a aussi été commissaire de plusieurs expositions consacrées à l’artiste. De même, j’ai pu prendre le temps de parcourir le magnifique livre illustrant les travaux textiles de Louise Bourgeois et commenté par l‘artiste juste avant sa disparition (publié aux Editions SKIRA), à l’occasion de l’exposition ‘Louise Bourgeois: The Fabric Works’, qui s’est déroulée en 2010, à la Fondazione Emilio e Annabianca Vedova, à Venise. Le livre est préfacé par le commissaire de l’exposition et célèbre critique d’art italien Germano Celant (récemment décédé du coronavirus). Fabric Works présente plus de 70 cartons et dessins préparatoires, 4 sculptures de larges dimensions et autres motifs, réunis et exposés au public pour la première fois en 2010. L’exposition voyagea de Venise à Londres, à l’occasion de l’ouverture du nouvel espace de la galerie Hauser & Wirth’s.

Louise Bourgeois est un personnage complexe, qui semble avoir été « boudée » par la France dans un premier temps. Elle semble n’être reconnue que tardivement par les institutions muséales telles que le Centre Pompidou, le Musée d’Art Moderne, alors même qu’elle était déjà exposée et reconnue en tant qu’artiste contemporaine majeure du XXe siècle, aux États-Unis et en Europe. Pourquoi ? Incomprise sûrement, car inclassable. Artiste française mariée à un célèbre historien d’art Américain, exilée aux États-Unis depuis 1938, elle se plonge dans son art avec une certaine violence, créer est un exutoire pour elle. On perçoit cependant son extrême fragilité qui se mêle à cette force et volonté de créer.

Ayant travaillé très tôt dans l’atelier de sa mère de restauration de tapisseries anciennes, le fil est lié à son parcours artistique. Comme le décrit Germano Celant, pour l’artiste « le fil est comme une peau » et « le vêtement comme témoin ». Le travail textile occupe plus particulièrement les dix dernières années de la vie de l’artiste nonagénaire, qui continue de créer inlassablement jusqu’à sa mort en 2010, à l’âge de 98 ans. En 2002, elle réalise notamment son premier livre en tissu, intitulé « Ode à la Bièvre », puis le second « Ode à l’oubli, 2004 ». On peut parler de « repair memory », en effet pour l’artiste « l’acte de coudre est un processus de réparation émotionnel ».

Artiste pluridisciplinaire, femme sculpteur, « femme-couteau », Louise Bourgeois réalisera également des dessins et des gravures. Elle utilise différents mediums : bois, marbre, latex, caoutchouc, bobines, fils, tissus, mouchoirs, vêtements, tapisseries, verre, porcelaine, etc. Pionnière dans le « perfoming art », elle réalise des installations à la fois extravagantes et bouleversantes. Son influence traverse les générations d’artistes. Ses thèmes de prédilection sont l’enfance, la féminité, la maternité, la sexualité, l’intériorité du corps, l’ambivalence féminin-masculin dont l’œuvre intitulée « Fillette, 1982 » est emblématique et reflète le sens de l’humour de l’artiste, photographiée avec un sourire, par Robert Mapplethorpe. La figure de l’araignée et de sa toile, symbolise sa mère, associée au travail de réparation de la tapisserie. J’ai eu le plaisir d’admirer l’été dernier une de ses sculptures « araignée », un magnifique spécimen de 9 mètres de haut, une « Maman » protégeant un sac rempli d’œufs et qui prônait devant le Musée Guggenheim de Bilbao, en Espagne. Louise Bourgeois décrivait cette araignée comme une « amie, parce que ma meilleure amie était ma mère, et qu’elle était aussi intelligente, patiente, propre et utile, raisonnable et indispensable qu’une araignée ».

Par ailleurs, le travail de Louise Bourgeois me conduit à faire un parallèle avec deux artistes françaises d’art textile contemporain : d’une part, Annette Messager et d’autre part, Fanny Viollet. J’ai découvert il y a quelques temps au Musée d’Art Moderne de Paris, la série d’Annette Messager, « Ma collection de proverbes », qui met en scène des proverbes misogynes et bouscule ainsi les esprits. Louise Bourgeois milite dans les mouvements féministes dans le milieu des années 60. Cela m’a fait penser également aux mouchoirs brodés avec ses initiales LB et sur lesquels Louise Bourgeois dessinait et écrivait ses réflexions comme l’œuvre de 1996 « I have been to hell and back. And let me tell you, it was wonderful » (‘Je suis descendue en enfer et en suis revenue. Et laissez-moi vous dire, c’était merveilleux’).

J’ai également découvert avec plaisir le travail de l’artiste Fanny Viollet lors de son exposition ‘Une histoire de femme et de fil’, qui s’est déroulée en septembre 2019, à la Maison des Arts de Châtillon. A cette occasion, j’ai pu contempler sa série de mouchoirs trouvés. Ses mouchoirs Citation font aussi écho je trouve au travail de Louise Bourgeois. Fanny Viollet garde aussi ce qu’elle trouve et répertorie ses trouvailles, tels des petits trésors, placés dans ses « boîtes à dérisoire », le tout soigneusement inventorié. Elle déclare ainsi : « Mon attention ne se porte plus que sur des choses négligeables, infimes, ridicules, qui paradoxalement me réjouissent au plus haut point. Prise par surprise, il me faut garder trace de ce parcours mystérieux. Ce “Dérisoire” s’enferme en secret, durant 6 ans, dans 69 boites (sur environ 10 000 fiches). Sur chaque fiche sont notés le lieu, la date et l’heure ainsi que le contexte de ces petites archives ».

Quant à Louise Bourgeois, telle une sorte d’autoanalyse, elle a retracé tout au long de sa vie ses pensées dans ses journaux intimes, témoins de la vie d’une femme et récit d’une artiste pluridisciplinaire exceptionnelle, qui a profondément marqué l’art contemporain.

A noter – ses distinctions : Source

– 1999 : Louise Bourgeois reçoit le Lion d’or de la Biennale de Venise pour l’ensemble de son œuvre et le Preanium Imperial (au Japon).
– 2002-2003 : Prix Wolf (sculpture)
– 21 septembre 2008 : le Président de la République française, Nicolas Sarkozy, lui remet la Légion d’honneur à New York.
– 2009 : elle est honorée par le National Women’s Hall of Fame, ainsi que neuf citoyennes américaines, pour avoir marqué l’histoire des États-Unis.
– Depuis 2010, une rue d’Antony, ville où elle a vécu, porte son nom.

Autre Source : A lire aussi pour en savoir plus, l’interview de son fidèle Assistant Jerry Gorovoy sur l’artiste, The Guardian

 

   

Fillette,1982
Maman, Guggenheim Bilbao Museum
Annette Messager – Ma collection de proverbes
Fanny Viollet -Journal des mouchoirs trouvés -1990-2018